Rehauts 2021

Peintures réalisées à partir de xylographies regroupées dans le catalogue raisonné des bois gravés d’A. Dürer sous le titre générique de Planches individuelles…

Ensemble de 12 peintures

Chacune de ces peintures est réalisée à l’acrylique et poudre de métaux sur du lin fripé de 80×190 cm.

Rehauts 2021

A propos de la série Rehauts.

Depuis de nombreuses années, je peins sur des pans de lin fripés en m’inspirant des gravures sur bois d’Albrecht Dürer. Le résultat de ma démarche produit des peintures que je voudrais voir cataloguées de bien actuelles.

Qu’ont-elles cependant conservé des xylographies tracées et gravées, il y a six siècles par le maître de Nüremberg ?

Lorsque j’ai commencé ce travail de citations exhaustif et méticuleux, je décomposais avec application et organisation le sujet : lacéré en bandes verticales permutées ou taillé en fragments mêlés ou bien encore déformé par élongation ou écrasement, le dessin disparaissait pour devenir presque méconnaissable. Pourtant, le récit de départ était là, sous-jacent, pressenti par certains mais devenu pour la plupart assurément caché. Cette sensation diffuse d’un dessin né de la mémoire d’une scène figurative convenait à mon objectif. Il m’échappait et je le laissais fuir. Puis, au fil des relectures, l’image empruntée à Dürer est redevenue de plus en plus lisible. Ma connivence et ma complicité avec ce graveur de génie me firent accepter que la puissance intemporelle de son graphisme le rendait à tout jamais contemporain et qu’il m’était donc possible d’y rester fidèle.

Dans le vide blanc du papier épargné par l’encrage, respectant la grande tradition des gravures rehaussées jadis à l’aquarelle, je choisis avec soin des couleurs dont le contraste avec le noir lourd de la trace d’encre sera vif et fort. Les roses et jaunes côtoient fréquemment le vert acide et l’orange intense. Ces rapports aigus frôlant la dissonance sont juste tempérés par des badigeons de poudre de métaux qui, en amont, les balaient et les atténuent doucement.

Souvent, par contiguïté, je compose des associations de fragments qui peuvent avoir été choisis à des échelles différentes et qui conteront, poussés par de nouvelles fréquentations, une histoire quelque peu différente de celle racontée par Dürer. Quelques légères modifications des éléments de la scène : place des personnages dans l’espace, jeux de regards permutés, objets, outils ou armes supprimés ou déplacés perturberont elles aussi la lecture du regardeur.

A taille humaine, les peintures de cet ensemble révèlent avec une intensité réaliste le geste de la gouge ou du burin et témoignent exagérément de la saignée creusée par le graveur dans le bois de fil. Cette sidération du signe me bouleverse et je la voudrais aussi émouvante et pénétrante pour celui qui l’observe.

Dans cette série regroupée dans le catalogue raisonné des bois gravés de Dürer sous le titre générique de planches individuelles, les sujets traités sont pour la plupart des scènes violentes : souffrances de saints martyrs, combats mythologiques ou sacrifices humains… A l’encontre d’une certaine tendance actuelle où les artistes s’évertuent à dramatiser des scènes de la banalité coutumière, j’ai considéré qu’il fallait traiter ces sujets intenses et poignants avec la retenue de l’humble et l’atticisme respectueux du conteur troublé. J’ai donc allongé le dessin des corps, étendu les éléments du paysages, accentué le mouvement mais raccourci les espaces entre les acteurs de la scène. J’ai choisi des couleurs encore plus lumineuses et vives pour éclairer les récits et atténuer les ombres portées. Au travail, à l’atelier, j’engageais une bataille contre moi-même, exigeant de mes mains une maîtrise et une douceur auxquelles elles échappent souvent. Je menais un combat contre la puissance du sujet, l’intensité du propos, l’écrasant pouvoir du modèle. Calmer, maîtriser, être en retenue, parvenir à conserver cet état de lucidité et de contrôle des émotions qui serait le garant de l’éloquence espérée. Retenir le souffle pour que la réalité peinte relate l’objectivité du sentiment. Tenir cette impartialité, cette justesse surtout, malgré tout et contre tout… Car, peindre, au fond, c’est avant tout se réfréner.

Philippe Guesdon, 2021.